Certaines personnes sont à l’aise dans le chaos, stimulées par les changements et électrisées quand on fait appel à leur capacité d’innovation ou leur créativité. Bien utile en ce moment tout cela, n’est-ce pas ? Mais qui sont ces personnes ? Comment les manager ?
Voici l’article de notre consultante / coach partenaire Caroline Bertholier
On peut se dire que tout le monde a une forme d’atypicité: ceux qui passent leurs week-ends à faire de la course en sac, ceux qui se baignent dans la Manche en hiver, ou encore ceux qui se transforment en clown bénévole pour aller faire rire les enfants dans les hôpitaux alors qu’ils sont experts comptables ou secrétaire dentaire le reste du temps.
En fait, les collaborateurs que l’on appelle pudiquement Atypiques dans le monde de l’entreprise sont ceux dont le mode de fonctionnement, les manières de réagir, de penser, de créer sont tintées par une spécificité cognitive précise. On les évoque également sous la dénomination de multi potentiels, HQI (haut quotient intellectuel) ou HPI (haut potentiel intellectuel), zèbres, surdoués, …
On en dénombre entre 2 à 5% de la population mondiale. Certains d’entre eux ont passé un test de QI (le WISC IV pour les adultes), mais beaucoup ignorent qu’ils sont concernés et seraient même étonnés d’apprendre que leur quotient intellectuel dépasse un score de 130. Pour autant, ils peuvent avoir un sentiment de décalage, se sentir différents, parfois incompris ou manquant de compétences, et du reste, c’est vrai que leurs réactions sont parfois déroutantes pour l’entourage.
Si le pourcentage des personnes concernées paraît faible, il y a néanmoins des chances pour qu’en tant que manager vous ayez au moins une fois dans votre vie à gérer des collaborateurs touchés par cette spécificité et il est important de bien les comprendre pour adapter votre relationnel, vos consignes et vos attentes vis-à-vis d’un collaborateur atypique.
En fait, les Atypiques disposent des mêmes qualités et points faibles que tout un chacun, mais ce qui les distingue c’est l’intensité et le cumul de saillances : rapidité de compréhension, capacité à faire des liens entre les sujets, mémoire pouvant être impressionnante, curiosité, capacité à anticiper, fulgurances, intuition, créativité, énergie débordante ou forte capacité de travail, adaptabilité, empathie, …
A ce stade, on observera, histoire de démystifier le sujet et ne pas se cantonner à une caricature de « petit génie », que ces spécificités n’ont pas grand-chose à voir avec le niveau ou le type d’études ou un milieu social. Elles sont innées, peuvent s’exprimer de manière artistique ou psychomotrice. Du reste, le haut potentiel ressort de caractéristiques cérébrales observables à l’IRM. On ne parle pas nécessairement d’Einstein ou Léonard de Vinci car de nombreux Atypiques passent inaperçus et ne font pas de carrières spécialement brillantes.
Du reste, les Atypiques ne sont pas sans failles, loin s’en faut ! Naïveté, tendance à complexifier ce qui est simple, procrastination, difficulté à faire des choix, baisses de régime brutales, étourderie, survol des sujets, éparpillement, langage un peu trop direct, interprétation erronée des consignes…
Au plan émotionnel, les HPI qui se connaissent bien se décrivent comme des « éponges à émotions» ; parfois très susceptibles, ils sont néanmoins assez humbles et peuvent énormément douter de leurs capacités. Ils peuvent surréagir face à des situations qui paraissent anodines au reste du monde, notamment si leurs besoins ne sont pas respectés. Certains d’entre eux ont pu souffrir beaucoup du sentiment de décalage dans leur enfance et avoir développé une carapace qui les fait paraître froids, durs. Ou au contraire, ils auront opté pour une attitude de caméléon, se sur adaptant pour passer inaperçus, ceci parfois de manière totalement inconsciente.
Un besoin de sens majeur et un sens de la justice exacerbé peuvent parfois donner aux Atypiques des allures de chevalier portant leurs valeurs en étendard. Et ceci sans vraiment de hiérarchie dans ces valeurs : ainsi ils peuvent s’enflammer de manière aussi forte si le choix des couleurs de la nouvelle moquette leur paraît aberrant ou si la personne qui assure le nettoyage des locaux n’a pas pu prendre ses congés à la date qu’elle souhaitait !
Pour eux, tout est important, il n’y a pas de sujet secondaire. Inversement, ils n’ont pas vraiment de sens de la hiérarchie et peuvent avoir du mal à admettre certains codes culturels en entreprise (par exemple ils peuvent trouver incompréhensible que les grands patrons ne se mélangent pas au reste des collaborateurs pour déjeuner)
Ces valeurs à fleur de peau en font des personnages attachants, mais cela peut induire quelques difficultés relationnelles et des réunions animées, car l’Atypique aura parfois du mal à faire des concessions et peut s’exprimer de manière très directe : « Mais on frôle l’absurdité totale avec ce projet ! Est-ce que quelqu’un a anticipé les conséquences d’un démarrage dans 15 jours ? Est-ce que je suis le seul à voir qu’on va dans le mur ? On marche sur la tête ! « …
Si en tant que manager vous êtes confrontés à un collaborateur dont les réactions sont excessives et que vous soupçonnez qu’il soit Atypique, il sera important de l’aider à prendre de la distance, le faire parler sur ce qui lui paraît si scandaleux, ce qui est important pour lui, … et le rassurer sur le fait que si vous avez bien pris tous les paramètres en considération, anticipé les conséquences, etc…
Car ces collaborateurs brillants ont souvent besoin de vérifier que leur manager est à la hauteur, et il va falloir régulièrement le rassurer quant à cela. Ils seront également sensibles au respect d’une certaine éthique et auront besoin que le projet d’entreprise leur soit régulièrement partagé.
Mais si leurs valeurs sont respectées, ils sont capables de donner le meilleur d’eux-mêmes et de faire partie des collaborateurs les plus engagés et les plus performants.
En dehors du respect de leurs valeurs, les Atypiques ont un besoin assez spécifique, qu’ils soient introvertis ou extravertis : pour recharger leurs batteries, ils ont besoin de s’isoler, et il est nécessaire que l’entourage personnel comme professionnel puisse en tenir compte, sans s’en offusquer.
On parle beaucoup actuellement du monde « d’Après ». Mais on ne sait pas vraiment de quoi sera fait ce monde, notamment en ce qui concerne l’entreprise. Ce que l’on sait, c’est que cette période constitue une fenêtre de tir pour enclencher de nouvelles manières de fonctionner, notamment en matière de management. Un leadership plus partagé, des valeurs plus ancrées, plus d’éthique, de confiance… On voit déjà se dessiner quelques lignes directrices et les transformations à enclencher.
La nécessité d’appréhender la complexité comme un paramètre du quotidien fait également partie des évolutions à intégrer. Pour autant, on sent également un besoin de simplicité, de pragmatisme : allègement des normes, réduction des intermédiaires, relations moins formelles…Cette époque est riche en paradoxes, et ça, les Atypiques adorent !
Au demeurant, si les Atypiques peuvent être particulièrement performants et utiles dans cette période complexe, il faudra veiller à canaliser leur énergie pour ne pas épuiser toute l’équipe ou s’épuiser eux-mêmes, et les aider à ne pas s’éparpiller. Tout en rappelant bien le sens des actions à entreprendre et les objectifs de l’entreprise.
On l’a vu, les Atypiques sont à l’aise dans la complexité, ils sont capables de raisonner en faisant des passerelles entre les sujets. Cette habileté dans la transversalité est un atout pour discerner, prendre de la hauteur, créer des connexions. Rappelons que la complexité nécessite d’avoir bien envisagé et posé toutes les dimensions d’une problématique. C’est là que la rapidité de compréhension et la puissance analytique du HPI peuvent également trouver à s’exprimer.
Créativité et curiosité peuvent également être stimulées par cette période où une nouvelle manière de travailler peut-être inventée. Une astuce pour obtenir de bons résultats avec un Atypique : lui confier une mission en lui disant que c’est assez urgent (cela lui évitera de procrastiner) et qu’il a carte blanche sur la manière de la remplir. Enthousiasmé à l’idée d’avoir le champ libre, (car le cadre trop enfermant sera contre-productif) et de pouvoir laisser libre court à son imagination, l’Atypique a de fortes chances de produire des idées « out of the box » en cette période où l’on a soif de renouveau. La capacité à émettre des idées divergentes fait partie des atouts liés à la douance, et peut inspirer autant que stimuler l’énergie de toute une équipe.
Par ailleurs, l’humilité et l’empathie sont également deux caractéristiques qui pourront être mises à la manœuvre pour bâtir ou rebâtir un esprit d’équipe collaboratif et dans le « care ».
Alors à vous d’agir en tant que manager-coach pour faire comprendre à votre collaborateur atypique en quoi ses capacités spécifiques peuvent aider l’entreprise à mener sa transformation dans de bonnes conditions.
Voilà donc une description nécessairement partielle (car le sujet est vaste) de ce qu’un collaborateur atypique peut apporter à l’entreprise et quelques pistes pour l’aider à se développer. Il peut arriver que vous vous sentiez dépassé et que cette douance paraisse trop compliquée à gérer, et dans ce cas, il ne faut pas hésiter à mobiliser un coach spécialisé.
Les multiples capacités de l’Atypique n’en font pas un être tout-puissant, elles en font une personne pleine de promesses qui ne demandent qu’à se réaliser. Mais pour cela, encore faut-il que la place leur soit faîte pour déployer leurs talents…
Caroline Bertholier