Albert Camus disait « nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ».
La nuance a à avoir avec le doute. Il est question d’accepter l’incertitude et d’être prudent. Pour définir la nuance, on peut parler de différences subtiles, voire presque imperceptibles, qui peuvent exister entre deux choses.
Le danger est en fait que quelqu’un sans nuance donne l’impression de savoir, de contrôler, de gérer les événements. Dans une période anxiogène comme la nôtre, cela peut séduire énormément de gens. Les débats médiatiques par exemple à propos de la crise COVID ont manqué souvent de nuances car il s’agissait de montrer aux gens qu’on savait ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. La certitude est tellement rassurante…
Face à l’infobésité, notre cerveau pourtant ne veut pas de la nuance. Il préfère rester en mode automatique car c’est comme cela que physiologiquement il fonctionne. Passer à la nuance, l’oblige à être dans un mode plus adaptatif qui lui demande plus d’efforts.
Les réseaux sociaux font souvent ressortir l’inverse de la nuance. Il y a même un risque de se radicaliser en les suivant sans discernement. En effet, les réactions sont souvent limitées à un « j’aime » ou « je n’aime pas ». Un autre risque potentiel est aussi de ne recevoir que des publications en lien avec sa pensée initiale puisque souvent l’algorithme est conçu ainsi. Aucune contradiction, aucun éclairage divergeant ne vient enrichir la pensée de celui qui s’est exprimé au départ. La pensée s’appauvrit et c’est souvent une fenêtre ouverte sur l’intolérance.
L’être humain, souvent victime de son ego, a beaucoup de mal à dire je ne sais pas. La capacité de nuancer demande de se poser, de réfléchir, d’accepter de ne pas tout savoir.
Apporter de la nuance est plus fécond, plus fructueux. Cela demande aussi plus de vocabulaire, de structuration de la pensée. Ce n’est pas être « intello » ; c’est apporter de la finesse à son discours. Les jugements binaires du type « c’est bien / c’est mal, c’est juste / c’est injuste » sont vraiment limités. Sachons apprécier les éclairages sémantiques : cela éclaire les esprits et élargit le débat. La richesse intellectuelle est à ce prix.
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La nuance est utile dès le moment où un manager veut fixer le cadre, les règles du jeu de son équipe. Il va pour cela commencer par réfléchir aux valeurs qu’il souhaite développer au sein de son équipe. Par exemple, en intelligence de situation, pour s’adapter au mode « hybride », il va réfléchir à la valeur du collectif, y compris à distance. Il va ensuite partager avec ses collaborateurs sur ces valeurs et pour être sûr qu’ils parlent tous de la même chose, ils vont ensemble décliner ces valeurs en comportements attendus de chacun et observables par tous. En faisant cela, ils vont être plus précis, plus dans la nuance, le partage sera ainsi plus riche. Et la probabilité que le cadre soit respecté est alors plus forte.
Autre sujet qui réclame de la nuance, l’humour au sein de l’équipe. Il est nécessaire sur ce sujet de faire une distinction entre l’humour et le sarcasme. Le premier mot parle de ce qui fait rire tout le monde alors que le second correspond à envoyer une « pique » à une personne de l’équipe qui peut se sentir attaquée et donc n’a pas spécialement envie d’en rire. L’humour réclame de la nuance pour s’adapter à chacun.
La nuance permet aussi d’affiner ce qu’on met derrière un mot. C’est symptomatique concernant par exemple la confiance. Tout manager veut développer la confiance dans son équipe, mais pour cela il a besoin de préciser ce que cela veut dire. Parle-t-on d’avoir confiance en soi, d’inspirer confiance, de faire confiance, de communiquer en confiance ? … Là encore, l’équipe peut détailler ensemble ce à quoi elle pense en termes de comportements concrets qui crée et développe la confiance.
S’il y a bien un domaine managérial où la nuance a une très grande utilité, c’est dans le cadre du feedback. Tout manager souhaitant faire grandir son collaborateur se doit de lui faire des débriefes au fil de l’eau sur ses actions et comportements dans une démarche constructive et faisant preuve de nuances. C’est essentiel pour ne pas « coller une étiquette » à un collaborateur et pour lui permettre de progresser.
Pour développer les compétences du collaborateur, le manager doit s’appuyer sur des faits précis, détaillés et ne pas s’arrêter à des opinions globalisantes. S’il a trouvé par exemple que le collaborateur faisait preuve d’agressivité, il doit donner pendant l’entretien des exemples de phrases, d’intonations, de postures qu’il a observés. On peut être tout à la fois franc et dans la nuance. C’est même fortement recommandé car la réalité est complexe à exprimer et nécessite de prendre du temps, de « longueur » dans le discours. Un feedback n’est pas à faire sur un coin de table, au détour d’un couloir. Pour être utile et motivant, il nécessite de se poser et d’expliquer clairement les choses.
Pour être créatif ensemble, il faut déjà bien se connaitre, s’apprécier, utiliser les bonnes modalités de communication. Il s’agit de mettre en place un système d’échange où les collaborateurs vont également s’exprimer en étant dans la nuance et ainsi favoriser la diversité d’idée qui engendre la créativité …
La 1ere chose à faire consiste à favoriser au sein de l’équipe la confrontation d’idées, à ne pas confondre avec l’affrontement de personnes. C’est dans la richesse des débats que la créativité apparait. Il s’agit aussi de ne pas avoir peur du conflit qui nourrit aussi le débat sous condition de rester dans la nuance et de maintenir la bienveillance et le respect de l’expression de chacun. Cela passe par faire préciser les propos, donner son ressenti en employant le bon terme…
En conclusion, l’arrogance est souvent plus confortable alors qu’on croit que c’est plus courageux. Ne dit-on pas « avoir le courage de ses convictions » ? On devrait pourtant parler du courage de la nuance !
Ecoutez le podcast de Marie Paule Le Gall sur l’importance de la nuance